Floirac, de Koolhaas à Koolhaas

Cette ultime Ligne Droite mènera tout droit (ou presque) de Koolhaas (le pont) à Koolhaas (la maison). Car, joli pied de nez du destin, l’architecte du futur pont Simone Veil est aussi celui de « la maison à Bordeaux », perchée sur les hauteurs de Floirac. Un mythe pour le marcheur urbain avide de sensations et d’architectures fortes. Un enseignant espagnol spécialiste de Rem Koolhaas a fait le déplacement en famille depuis Madrid pour l’occasion ! La balade fait carton plein. Une belle bruine nous accompagne.


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récit et photos Françoise Duret

« Un quartier mixte, où l’on pourra se loger, aller au spectacle, se soigner… »

Premier guide de cette session : Marie-Pierre Laubeuf, chef de projet de la ZAC des Quais pour Bordeaux Métropole. Les habitants concertés l’ont rebaptisée « Les rives de Floirac ». Justement, Loïc Plaire, membre du conseil de quartier, mais aussi correspondant du journal Sud Ouest, est également au rendez-vous.

« C’est une chance d’être l’aménageur de ces lieux ! » commente l’enthousiaste Marie-Pierre Laubeuf. Car, elle le sait, ici tout est à imaginer, (re)construire, créer. Le challenge pour Bordeaux Métropole : susciter de la mixité économique, sociale et urbaine, faire voisiner les quartiers d’échoppes et d’immeubles récents, et réunir leurs occupants dans un espace public commun, « une place de village. Un lieu où se retrouver, boire un café, échanger. C’est une demande forte des habitants. »

L’espace commun qui attire déjà toute la métropole et même plus, c’est l’Arena, la toute nouvelle salle de spectacles de 11000 places, ouverte en janvier 2018. L’architecte, Rudy Ricciotti, a imaginé cet « ovni », magnifiquement illuminé de nuit, au bord du fleuve.

Bordeaux à nos pieds

Reste la question des accès. Car « si Floirac a toujours eu la vue sur la Garonne, elle n’a jamais eu l’accès au fleuve ». La réponse : le futur pont Simone Veil, large de 44 mètres. Un « pont à vivre » doté d’une allée piétonne de 18 mètres de large et d’esplanades boisées ! « Il pourrait même accueillir des fêtes. » Pour aller danser sur le pont, on pourra prendre un TCSP (transport en commun en site propre) de pont (Chaban) à pont (Simone Veil). Bon, pas avant 2025 quand même. « Le temps de l’aménagement d’urbanisme est très long » commente Marie-Pierre Laubeuf. Mais le pont lui aussi attendra. En cause, une divergence de points de vue entre le bureau d’études de Bordeaux Métropole et le constructeur. Pour l’heure, un début de tablier s’avance, comme suspendu au dessus des flots.

Pour admirer la zone de chantier, rien de tel que de prendre de la hauteur. Ça tombe bien, Marie-Pierre Laubeuf a des entrées… au parking de l’Arena ! L’endroit idéal pour une vision élevée. « C’est là qu’on se rend compte que Floirac est aux portes de Bordeaux. » La zone de chantier est éclipsée. La vue imprenable sur toute l’agglo hypnotise le randonneur.

Excursion dans la ville nouvelle

On redescend sur terre, ou plus exactement dans le quartier. Au dessus des immeubles déjà habités, les grues tracent leurs cercles dans le ciel tels des compas d’architectes. Impression étrange de cheminer au cœur de l’histoire en construction.

Les projets s’enchaînent : derrière l’Arena, la future clinique du Tondu s’installera en janvier 2019 ; rue Jean Alfonsea, les entreprises de la zone d’activités et la déchetterie relookée tournent à plein régime ; avenue de la Garonne, le Rébédech, ruisseau local, a été canalisé et ses abords aménagés ; plus loin, s’élèvera bientôt un gymnase municipal ; sur l’îlot vert, à deux pas, ce sera une résidence inter-générations, adossée à un bâtiment de 40 logements ; rue Jules Guesde le tabac-presse disparaîtra pour renaître en pied d’immeuble, mais la maison des anciens combattants, elle, demeurera ; la place sera aménagée de l’autre côté du chemin qui serpente. Ouf !

Le groupe fait une pause devant l’ancienne gare de la Souys. Le regard se perd au loin, sur un large et long chemin – l’ancienne voie ferrée –  où les adventices et les herbes folles semblent avoir gagné la bataille du rail. Du sauvage apprivoisé. « L’enjeu est de conserver l’ambiance bucolique de ce lieu. » En attendant le TCSP qui passera par cette trouée verte, un cheminement piétons sera aménagé. La piste cyclable est juste derrière. Les habitants ont ouvert la voie et l’empruntent déjà pour passer d’un quartier à l’autre. L’ancienne gare sera conservée.

On s’essaie à prononcer le nom de la voie Bordeaux-Eymet. [Aimé] ? [Eillemet] ? Marie-Pierre tente un [Eillemeillette]. Pas loin. C’était [Eillemette] ! Ici tout se prononce.

Dans les lacets du fil vert

« La rive gauche c’est trop plat » affirme Cédric, un voisin de marche. Il aime le côté escarpé et sauvage. Il va être servi.

Dans le parc du Castel, notre second guide, Pascale Wertheimer, en charge des aménagements paysagers à Bordeaux Métropole, a prévenu : on va grimper. Et traverser une partie du fil vert du parc des Coteaux, projet de 25 ans qui déroule petit à petit sa pelote. Chaque commune reste maîtresse de la partie qui la concerne. Ici la ville a fait appel à Graziella Barsacq, paysagiste floiracaise qui a également créé les aménagements de la ZAC des quais et de l’avenue de la Garonne. Tout est cohérent.

Graziella Barsacq a parsemé la forêt de rubans métalliques, tour à tour bordures, liens, habillage, protection pour les arbres (ou les têtes !)…  « On a l’impression que ça a toujours été comme ça mais c’était très dense. On a tout défriché au ‘coupe-coupe’ avec les agents municipaux pour trouver les meilleurs passages ! »  commente Pascale Wertheimer. Chaque pavé, chaque marche de bois calée dans les terrassements, a moins de 5 ans. Même l’ail des ours qui fleurit en tapis chaque printemps a été « aidé » par les aménageurs qui ont propagé manuellement les touffes à travers le coteau !

Au milieu des arbres, soudain, un nid ! Une structure métallique étagée d’où on peut admirer le paysage, en oiseau de passage. Une pensée pour les ouvriers qui ont apporté la structure. « Non, elle est venue par hélicoptère. Mais il a fallu assembler et souder sur place ! »

Où l’on chemine dans une œuvre d’art

Au bout du chemin de la Montagne (un nom qui n’est pas totalement usurpé), il y a le chemin des Plateaux et l’entrée de la Maison Lemoine. Une longue, très longue allée y conduit le voyageur invité, conscient de sa bonne fortune. Car l’endroit est privé. Il appartient à Mme Lemoine, veuve de Jean-François Lemoine, et a été construit entre 1994 et 1998 pour cet ancien PDG du journal Sud-Ouest, qui ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant à la suite d’un accident de la route. La maison à Bordeaux, nom que lui donna Rem Koolhaas, est bien floiracaise.

Au détour de l’allée, après le virage, c’est le choc esthétique. Comme si des extra-terrestres avaient posé leur vaisseau sur ce pan boisé du coteau. 500 m² d’habitation sur 11 hectares, trois niveaux, des blocs de verre et de béton posés sur une grotte-cocon. On dépose ses chaussures avant d’entrer car la maison est habitée.

Quand prend-on conscience exactement qu’on évolue dans une œuvre d’art ? Peut-être quand on se rend compte que le groupe de 30 personnes se déplace depuis 20 minutes dans un silence respectueux. Classée six ans seulement après sa construction à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, la Maison Lemoine est une œuvre architecturale majeure du 20ème siècle. C’est aussi un chef-d’œuvre d’invention, conçu pour et autour du handicap de son commanditaire : la plate-forme élévatrice centrale qui supporte le bureau de Jean-François Lemoine ; l’immense baie vitrée mobile qui ouvre le premier étage sur le jardin, les transparences qui créent des interactions continuelles entre intérieur et extérieur… Loin d’être un bloc, la maison se compose et se recompose au fil des besoins ou des envies.

Plus loin dans le parc, un bassin de nage empli d’eau de pluie filtrée, nous fait un coup d’effet d’optique. Il semble se modifier au fur à mesure qu’on le longe. On aimerait s’y attarder mais le pique-nique attend le groupe dans le parc des coteaux.

La gardienne de la maison Lemoine referme l’œil de bœuf qui donne à voir la ville, puis le portail. « Ça va ? Je n’ai enfermé personne ? Il criera, sinon ! » Ou pas.

 

Pour aller plus loin

Les Rives de Floirac

À propos de Bordeaux Métropole Arena

Sur le pont Simone Veil

Se déplacer en 2025

Le fil vert du Parc des Coteaux

La maison à Bordeaux

 

Texte et photos Françoise Duret

 


Ligne(s) Droite(s), balades en compagnie…

Proposées par le GPV Rive Droite, les Ligne(s) Droite(s) sont 8 balades, en compagnie d’experts et d’habitants, pour faire découvrir au public de l’Été métropolitain la Rive Droite, son patrimoine, ses paysages, ses bons coins, ses initiatives et projets, son histoire, ses histoires….

Dans le cadre de l’Été métropolitain 2018 programmé par Bordeaux métropole, le GPV Rive Droite propose Ligne(s) Droite(s) : 8 balades en compagnie d’experts et d’habitants qui guideront les marcheurs pendant quelques heures à la rencontre des parcs, du patrimoine ancien et contemporain, des secteurs de projet urbain et des gens qui font bouger la Rive Droite à Bassens, Bordeaux-Bastide, Lormont, Cenon et Floirac.

 

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